«Le siècle qui m'a vue naître et vieillir était le seul à pouvoir me convenir. Je sais bien que beaucoup en jugent autrement. Je ne parle pas ici du bien-être matériel ou du bonheur essentiel. Femme russe, où et quand aurais-je pu être plus heureuse? Au XIXe siècle, en compagnie des grisettes de Pouchkine ou des Nathalies de Herzen et de leurs pupilles? Avec des mamans et des demoiselles de la bourgeoisie naissante ou des pédantes championne du féminisme? Au XVIIIe siècle, ou à une époque encore plus lointaine lorsque, dans toute la sainte Russie, jeunes et vieux passaient leur temps `dormir, manger et prier?
«Tout était déjà en place qand je suis arrivée. Autour de moi 'étalaient des trésors, il n'y avait qu'à les ramasser. Je suis libre de vivre où et comme je veux. Je suis heureuse que les énigmes de ma jeunesse aient été élucidées. Je ne fais jamais semblant d'être plus intelligente, plus belle, plus jeune, ni meilleure que je ne suis. Je vis au millieu d'un invraisemblable et indiscriptible foisonnement de questions et de réponses et pour être tout à fait franche, les malheurs de mon siècle m'ont plutôt servi: la révolution m'a libérée, l'exil m'a trempppée, la guerre m'a projetée dans un autre monde.
«Je n'ai pas eu à me libérer, durant cinquante ans, des suites d'une éducation bourgeoise comme Louis Aragon ou Jean-Paul Sartre. J'ai grandi en Russie à une époque où l'on savait que le vieux monde allait, de toute façon, à sa perte. Personne ne défendait sérieusement les anciens principes, du moins pas dans mon milieu. Entre 1912 et 1916, tout croulait, s'effilochait sous nos yeux comme un vieil habit usé. La contestation était l'air que nus respirions, elle a nourri mes premières vraies émotions. Beaucoup plus tard seulement, à l'âge de vingt.cinq ans environ, j'ai su que j'appartenais de par ma naissance à la bourgeoisie. Je ne me sens absolument pas liée à elle, notamment parce que j'ai passé ma vie entière parmi des exilés déclassés comme les héros de mes romans et de mes nouvelles. En tant que classe sociale, elle a toujours éveillé en moi cependant plus de curiosité et d'intérêt que les débris de la noblesse féodale et au moins autant que la classe ouvrière. Mais c'est de l'intelligentsia, déclassée ou non, que je me sens la plus proche. Me sont étrangers, par contre, ceux qui détiennent le pouvoir, les dictateurs, les triumvrs, les hommes à qui on rend un culte, ceux qui y aspirent, les rois de tout poil. À cex dinosaures, je préfrère encore les requins, au sens propre et figuré.»
Nina Berberova - C'est moi qui souligne. Paris: J'ai lu, 1992, p. 27-28
1 comentário:
Sinto-me bem neste tempo em que vivo. Já tenho pensado o que me teria acontecido se tivesse nascido noutro século: devia ser alguma analfabeta que era o que acontecia à grande maioria das mulheres (e dos homens).
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