J’essaie, en tout cas, solitaire ou non, de faire mon Métier. Et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans l’assez affreuse société intellectuelle où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la (dé?)loyauté où le réflexe a remplacé la réflexion où l’on pense à coup de slogan et où la méchanceté essaie de se faire passer trop souvent pour l’intelligence.
Que faire d’autre alors, sinon se fier à son étoile et continuer avec entêtement la marche aveugle, hésitante, qui est celle de tout artiste
et qui la justifie quand même, à la seule condition qu’il se fasse une idée juste,à la fois de la grandeur de son métier, et de son infirmité personnelle.
Cela revient souvent à mécontenter tout le monde. Je ne suis pas de ces amants de la liberté qui veulent la parrer de chaînes redoublées ni de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert bien la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice.
Je vis comme je peux, dans un monde malheureux riche de son peuple et de sa jeunesse, provisoirement pauvre dans ses élites, lancé à la recherche d’un ordre et d’une renaissance à laquelle je crois.
Sans liberté vrai, et sans un certain honneur, je ne puis vivre.
Voilà l’idée que je me fais de mon métier.
Albert Camus, 22 jan. 1958
Sem comentários:
Enviar um comentário